Montmartre Fin de siècle - Belle Époque (1880-1916),
Collection Weisman & Michel
Intérieur du Chat Noir, représentant entre autres Jehan Rictus, Rodolphe Salis, Louise France, Madame Salis
et Henri Rivière. Photographie publiée dans Le Figaro illustré, juin 1896, p. 113. Photographie en relief. Collection privée, © photographe : Dennis Cate.
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C'est toujours un plaisir de se rendre dans ce musée qui conserve un petit air de campagne dans Paris,
surtout que les expositions y sont généralement de qualité, présentant en nombre des documents d'époque rares ou choisis avec acuité,
nous plongeant plus avant dans le village Montmartre, cette république artistique et libertaire exceptionnelle, ayant ses usages, son esthétique,
son énergie et sa faune toute particulière et mélangée,
un mélange qui caractérise aussi Paris le long des siècles... et cela encore aujourd'hui... un des rares éléments authentiques qui y survivent !
« Le Musée de Montmartre donne à voir pour la première fois dans sa totalité l'importante collection de David E. Weisman
& Jacqueline E. Michel. Il s'agit d'un ensemble unique et rare qui comporte plus de 180 pièces (peintures, aquarelles, pastels, dessins, affiches,
lithographies et journaux) réalisées ou illustrées par les artistes qui ont vécu ou travaillé à Montmartre et qui, par leur art, lui ont offert
sa réputation universelle. »
Nota bene : En conclusion de cet article, je présente les pages du catalogue de l'exposition
avec les oeuvres annotées par un numéro dans le texte ci-après. Cliquer sur les images pour un agrandissement.
L'exposition est intéressante à de nombreux niveaux. D'abord, approcher les oeuvres
de visu dans l'intimité de la touche (1) de l'artiste ayant passé du temps devant son chevalet, c'est un peu toucher l'esprit
du Montmartre de cette époque, à travers la matière de l'oeuvre que l'on peut caresser du regard, dans toute sa densité, ce que
les photographies ne peuvent retranscrire. Ensuite, c'est entrer, malheureusement qu'en l'effleurant, dans le Montmartre Fin
de Siècle et Belle Époque. On pénètre dans ses cafés (2), ses cafés-concerts, ses cabarets artistiques, ses cirques itinérants,
ses rues aux toits enneigés de peinture blanche (3) ; on s'assoit sur des bancs à côté de ces 'fous' au regard à la fois
inquiétant et rassurant (4), comme la douceur du soleil, boule géante de feu, comme l'eau qui désaltère et noie... certains
inconnus, d'autres connus comme Verlaine ou Manet (5)... Montmartre c'est cela : en même temps céleste et grossier,
sale et pur, centre du monde artistique d'alors et village de ploucs (ce n'est pas péjoratif, et je suis un peu lâche de me
justifier), de pierrots (6) blancs et parfois gris après avoir trop traînés dans la poussière humaine, avant de regagner
la lueur lunaire (7), reflet de lumière comme l'est l'art (8). Et puis, il y a tout un mouvement, plein de vie, de
rythmes poétiques, un feu d'artifice (9) de styles, chaque artiste de Montmartre étant particulier, s'inspirant les uns
les autres mais jamais ne se copiant, chacun différent, artistes très éloignés de l'esprit bourgeois si prégnant aujourd'hui. (10)
Si vous connaissez une personne qui vous est chère et que vous pouvez le faire, amenez-la
au Musée de Montmartre, buvez-y un verre, allez manger dans un des restaurants entre Montmartre et Les Abesses, et dites-lui
que vous l'aimez. Vous pouvez faire cela aussi n'importe où ailleurs et de n'importe quelle autre façon. Ce sont les gestes d'amour,
quels qu'ils soient, qui font que notre terre n'a pas encore été emportée par les esprits de la Nature sous le feu d'un Armageddon.
Et puisqu'on est sur la fin de siècle, rappelons que le Grand-Palais à Paris organise, du 9 octobre
2019 au 20 janvier 2020, une exposition sur
Toulouse-Lautrec (1864 - 1901). J'en parle à la fin de cet article.
1 - Les touches de peintures de ce tableau semblent plus douces et denses que des caresses.
2 - Dans ce café montmartrois on trouve en plein milieu une table garnie : vin, pain, soupière,
eau et divers mets ; autour un jeune homme lisant, des artistes, des élégantes, des élégants, des poètes, un dormeur, partout des oeuvres
d'art sur les murs...
3 - Peinture de neige. Brrrrr !!!!
4 - Le tableau de droite ressemble à une icône. La beauté n'est pas ici dans l'apparence
mais dans l'introspection.
5 - Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les artistes expriment une conscience
du beau et des rythmes. Ici un 'instantané' peint par Édouard Manet dans un café-concert.
6 - Un chaud et froid qui fait frissonner. Deux figures de la mythologie française :
Pierrot lunaire et femme solaire.
7 - « Bonsoir Madame la Lune ».
8 - Des chats qui jouent avec la lune comme les artistes avec les apparences.
9 - Cette peinture est pleine de feu.
10 - ici l'oeuvre d'art est celui qui la regarde et est regardé par elle.
Suzanne Valadon (1865-1938), Jeune fille au bain,
vers 1919. Huile sur toile, 50 × 39 cm. Photographie © Christopher Fay.
Louis Legrand (1863-1951), Le Cancan au Bal Bullier,
vers 1895. Gouache sur papier, 27 × 21 cm. © DR © Christopher Fay.
Albert Guillaume (1873-1942), Vous êtes si jolie... !,
Page de l'album, Tristes et Gaies, vers 1900 Crayon et aquarelle sur papier / 39 × 28 cm, Photographie © Dennis Cate.
Henri-Gabriel Ibels (1867-1936), Pierrefort,
1897, Lithographie, 63 × 82 cm. Photographie © Christopher Fay.
Je me suis donc aussi rendu à l'exposition sur Toulouse-Lautrec, le deuxième jour de son ouverture
au public. Il y avait beaucoup de monde, et c'était désagréable de ne pouvoir voir ses oeuvres de près, car je déteste bousculer et être
bousculé. J'en suis ressorti un peu fatigué, comme après être sorti d'une séance de massage chez le vampire, impression que j'ai souvent
quand je reviens d'une ballade dans la vie parisienne contemporaine. De plus, ce genre d'exposition, à l'esprit bourgeois, basée sur
le nombre, la quantité, l'accumulation, ne correspond pas à la mentalité de cet artiste tout sauf bourgeois.
Ce qui est important dans son travail, ce n'est pas tant ce qu'il montre mais ce qu'il ne montre pas,
un Paris « fin de siècle », « fin de globe », un monde qui s'épuise, une féerie qui s'achève justement à cause de cette mentalité bourgeoise. Les
productions de Toulouse-Lautrec ne sont finalement que des esquisses. Lorsqu'on les regarde, c'est avant tout le support que l'on remarque (la toile,
le papier...), une sorte de vide sur lequel il crayonne sans trop y croire. Chez lui, la vie compte davantage que sa création, et pour le public,
je crois que c'est lui qui compte davantage que ce qu'il a fait, et toute la mythologie montmartroise qu'il représente, avec son chahut cancan,
sa poésie, sa coquinerie, ses artistes et étudiants bohèmes, les petites femmes parisiennes réputées chez tous les scabreux du monde entier, ses
spectacles, ses fêtes, l'amour, les richesses et les bassesses qui s'y déploient, la féerie d'un village (le village Montmarte) au coeur d'une
capitale mondiale qu'était encore Paris à cette époque, etc.
Henri de Toulouse-Lautrec est un personnage hors du commun, ayant joué plusieurs tons de la chromatique
de son époque, des plus hauts aux plus bas, montrant sans critiquer, avec une sorte de distanciation, témoin qu'il était d'un monde dans lequel il
nageait tout en le surnageant. Les traits de ses dessins et de ses peintures sont souvent comme des esquisses faites du bout des doigts, représentant
la réalité crue mais par un frôlement... comme de haut... hauteur que l'on acceptait chez lui tellement il était petit... chétif... malade... La
plupart de son oeuvre ne fait qu'évoquer un rythme. Elle est souvent très différente de ce qui se fait alors, car 'plate', sans relief, sans
touches de peintures épaisses comme cela est le cas chez Van Gogh, les impressionnistes et beaucoup d'autres peintres de son temps.
Elle semble dessinée sur un tableau avec des craies de couleurs par un écolier espiègle.
Si Toulouse-Lautrec fréquentait les milieux artistiques de Montmartre, il était aussi issu d'une très
vieille famille aristocratique française descendant en droite ligne des comtes de Toulouse. Il semblerait même qu'il fut un véritable 'gant jaune'
comme le laisse à penser un splendide portrait de lui réalisé par Giovanni Boldini (1842 - 1931)
visible ici. C'est dommage que l'exposition ne montre pas aussi
comment Toulouse Lautrec était vu par ses contemporains.
Finalement, je ne retiens de tout cela qu'un souffle exprimé du bout des lèvres par Toulouse-Lautrec
à travers l'exercice espiègle d'une oeuvre qui ne s'achève pas, et qui n'a même jamais réellement été achevée, ni même commencée.
Article
publié
le 5 octobre 2019 par LM
© La Mesure de l'Excellence
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